Les traditions de cette profession y sont très vivaces. Beaucoup d’entre elles ont un fonds religieux indéniable ; surtout lors de la fête du saint Patron, celui du village comme celui des mariniers, Saint Nicolas.
Partout le long du fleuve existent des chapelles dédiées au saint où l’on place sa statue.
Bien souvent les mariniers confectionnent des bateaux en réduction et les déposent dans la chapelle du saint.
Nous en avons un bel exemple aux Roches, offert en 1806 par J.L SANIMORTE, d’une vieille famille de bateliers.
Religieux aussi indubitablement la croix des mariniers dressée à la proue des barques. Elles sont bénies par le prêtre avant le départ pour la "décize" (descente du Rhône) ou la remonte.
Les registres paroissiaux de Saint Clair du Rhône, village voisin des Roches, nous conservent le souvenir d’une cérémonie le 22 janvier 1806 :
"J’ai béni la croix, très solennellement, de l’équipage de Monsieur MOREL, de la Voute en Vivaray, conduit par Jean PERRATIER et le chef de charrette Pierre GUION de la Voute (La Voulte sur Rhône) le maréchal Jean BELLIN, qui ont tous assisté à l’édifiante bénédiction, qui auraient tous voulus signer, les uns étant illétérés et les autres se sont immédiatement retiré après l’office, mais tous y ont assisté, à l’édification de la paroisse. M.VIALLET, curé."
Les mariniers qui cessent d’exercer portent aussi à l’église leur croix d’équipage. Il en existe une à l’église des Roches. Un courrier du maire J. FLACHIER au curé des Roches, conservé dans les archives paroissiales, nous apprend son histoire :
"23 juillet 1922...Au sujet de la croix de marinier que je vous ai montrée, j’ai vu Mr Claude PITIOT qui la prendra chez moi, un de ces prochains jours, pour vous la remettre.
J’ai vu également Mlle SIAUX qui me l’avais remise et elle est absolument d’avis de vous l’offrir au nom de sa famille d’où elle provient ; famille autrefois patron de barques sur le fleuve. Cette croix doit dater de 1830 environ.
Inscription à placer, si vous le jugez à propos : croix de marinier. Don de la famille SIAUX, ancien patron de barque sur le fleuve du Rhône - 1830. Je suis certain qu’entre vos mains elle sera bien placée et que vous assurerez la conservation de ce souvenir communal..."
Joseph FLACHIER perpétuait ainsi une tradition chère aux mariniers rochelois ; sensible qu’il était à notre histoire locale.
Ses fascicules sur Les Roches entre 1823 et 1825 le prouvent aisément.
Sur le puissant symbolisme religieux des croix d’équipage, Bernard CLAVEL écrit dans son roman "Le seigneur du fleuve" : "...Il y avait des croix sur les bateaux et dans chaque maison où vivait une famille de mariniers...Celles-là étaient de petites croix...Elles étaient moins complètes que les grandes, mais pour être de vraies croix de mariniers, elles devaient porter au moins la Sainte Face couronnée d’épines et placée à l’endroit où se croisent les deux branches ; le Sacré Cœur, la robe d’écarlate, les tenailles et le marteau, l’éponge, la lance, la colombe, le coq saluant la naissance du jour et une des lanternes du bateau, un tonnelet ou une gourde paillée...le Saint Ciboire...Au pied les plus patients sculptaient parfois les personnages de la Passion..."
Ces croix étaient, et restent encore, un "évangile de bois" racontant la Semaine Sainte. Nul doute que pendant les veillées, sur les bords du fleuve, les enfants n’aient écouté son récit !
Ainsi que l’écrit le chanoine J.B LANFREY dans "Chez nous, recueil de notes historiques et géographiques sur le département de l’Isère" :
"Ce n’était pas forcément le signe d’une grande piété, car les voituriers d’eau étaient comme les autres hommes, certains d’entre eux avaient la foi, d’autres ne croyaient qu’en eux-mêmes".
"Au XIX° siècle, cette intensité de vie (marinière) s’est bien maintenue. La suppression de l’archevêché de Vienne détacha au religieux, comme c’était fait au civil, Les Roches de la paroisse de Condrieu ; et nous croyons pouvoir écrire que le diocèse de Grenoble ne regrette point d’avoir reçu cette ancienne succursale de Condrieu, où les traditions demeurent vivaces, et où les vocations religieuses ne sont ni rares ni communes".
Le 6 décembre, fête de saint Nicolas, est l’occasion de réjouissances dans le village : une vraie barque, "le coursier", est promenée toute décorée dans les rues. Elle porte en proue la croix des mariniers et les bateliers font à travers tout le village une parodie d’appareillage :
"Ho, le baïle ! fais tirer la maille ! Prouvier, pousse à l’empi, tires au riaume !" (ces deux termes évoquent l’époque lointaine où le Rhône était frontière entre l’Empire -rive gauche et le Royaume -rive droite).
La fête se termine sur la place du village, après avoir, bien sûr, commencé de bon matin par la messe de la Saint Nicolas à l’église paroissiale.
Les mariniers qui, avant la vapeur, naviguaient sur le Rhône luttaient contre les crues, les orages, le vent. En plus de leur saint patron, ils se recommandaient auprès de la Vierge Marie. De nombreux sanctuaires en son honneur étaient édifiés au bord du fleuve.
La chapelle de Notre Dame des Mariniers, à Saint Symphorien d’Ozon, en garde le souvenir encore vivace : de nombreux ex-voto y témoignent de la reconnaissance à Notre Dame pour sa protection.
Non loin de là est invoquée Notre Dame de Limon. Des foules de pèlerins de toute la région viennent pour l’Assomption célébrer la Dame du Ciel et invoquer sa grâce.
La vie de tous les jours est ainsi rythmée, au fil de l’année, par de nombreuses fêtes religieuses : celles de l’Eglise catholique (Ascension, Noël, Toussaint, Pâques) mais aussi, et surtout, par des fêtes locales : la Saint Clair le 2 janvier avec ses "bachelards" ; la Saint Vincent le 22 janvier, très fêtée dans notre pays de vignobles ; Mardi-Gras avec les "brandons"... Puis arrive le traditionnel mois de mai et ses " mayanches" qui chantent le printemps.
Culte populaire, culte chrétien ? Certainement une heureuse harmonie des deux !