L’orthographe du registre est respectée.
Nota que cet année mil sept cent quarente et six et le 21e jour du mois de mars fête de Saint-Benoist il est tombé trois pieds de neige dans ce pays bien mesurée tant sur les toits des batiments que dans les rues. Il faut sçavoir que le matin etant allé aleglise pour dire la messe et faire le catéchisme, la neige commençoit à tomber fort tranquillement en paté large comme des ecus. Cela continua ainsi pendant la messe et le cathéchisme qui durèrent une heure et dimy. quand on fut sorti de l’église il y avoit déjà un grand pied de neige, je fis entrer les enfans dans la maison dans lespérance que cela finiroit mais dans un quart d’heure de tems, il y en eut un pied et dimy. Cette continuation fit prendre son parti à la fille de Chazelle du Cullieu à commencer à frayer le chemin, tous les autres la suivirent, mais étant arrivés à Gouterel ils neurent pas le courage d’avancer plus loing ils se dispersèrent comme ils peurent dans chaque maison de Gouterel ou ils restèrent jusqu’au jeudy veille de Notre-Dame parce que les habitants de la montagne soit pour avoir des nouvelles de leurs enfants, soit pour venir à la messe le lendemain, s’étant assemblés, tracèrent un chemin, pendant les premiers jours comme personne ne pouvoit aller ny venir, il y avoit une petite famine dans le bourg parceque tous étant sans pain et sans farine et nous même aurions été sans pain si quelque voisin n’avoit voulu partager le peu qu’ils avoient et je puis dire que Annet Dupuy notre voisin aussi bien que sa famille n’eurent que très peu de pain pendant deux jours, n’ayant jamais peu, quoyque jeune aller jusqu’au Vocheat chez Masson pour emprunter une tourte de pain ayant été obligé par deux fois de s’en retourner du milieu du chemin, j’ay marqué celà parceque plusieurs vieux qui se souvenoit de soixante dix ans m’ont assurés qu’ils n’avoient jamais tant vû de neige dans le pays et surtout dans la pleine du Forest et d’Auvergne puisque les muletiers furent arrêté sept à huit jour sans pouvoir remuer de place. Cette grande quantité de neige n’a cependant pas nuit à rien si ce n’est que la pesanteur de tant de neige a fait ébouler quelque mauvais bâtiment en certain endroit. Maurent vicaire.
Note : Marcoux est un petit village situé à 500 mètres d’altitude en bordure des monts du Forez, dans l’actuel département de la Loire. Voici une annotation extrêmement intéressante car elle nous renseigne à la fois sur les conséquences de la soudaineté et de la rigueur du climat, la désorganisation économique liée à l’isolement (cf. le passage sur les muletiers), l’expression de la sociabilité et de la solidarité villageoises (ces témoignages sont très rares), la mesure et la valeur de la mémoire humaine (cf. le passage sur les « anciens »), et aussi la formation religieuse de la jeunesse. L’enseignement du catéchisme avait généralement lieu les dimanches et les jours de fêtes. Il était assuré par le curé de la paroisse et avait pour but de « donner aux enfants (...) une formation chrétienne authentique, insérée dans leur vie journalière ». Enfin, quelle chance pour les généalogistes de pouvoir trouver des informations nominatives aussi précises sur leurs ancêtres. Lire un autre exemple de la solidarité villageoise. |
Source de la notice :
- Registre paroissial de Marcoux, A.D. de la Loire (Marcoux (42) - Maurent, vicaire - AD, coll. communale - BMS 1738-1749 - 3NUMRP1/1MIEC137X01 - Vues 86, 87/117).
- Jeanne Ferté, La vie religieuse dans les campagnes parisiennes (1622-1695), Paris, Vrin, 1962.
- Jean-Pierre Gutton, La sociabilité villageoise dans la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1979.