Grâce aux registres paroissiaux et à ceux de l’état-civil, j’ai reconstitué sa généalogie en notant les noms des parrains, des marraines et ceux des témoins aux inhumations et aux mariages. Une carte des affinités a dès lors pris forme, complétée par celle des relations de voisinage rendue possible par l’exploitation croisée du cadastre et des actes notariés. La connaissance de ses familiers était la garantie de sélectionner par la suite les affaires qu’il avait eu le plus de chance de connaître à leur contact, éléments essentiels à la compréhension de l’atmosphère de son village et qui nous sont connus par les archives municipales et départementales.
Dans les premières, outre les délibérations du conseil municipal et du bureau de bienfaisance, on trouve également les liasses contenant les élections, le nom des votants et des scrutateurs ; la liste des intempéries, des incendies, des enfants abandonnés, telle la petite nièce d’Aubin, mais aussi le nom des réquisitionnés - dont sa mère - pendant l’occupation prussienne de 1815, événement local qui fait le lien avec la « grande histoire ».
Aux archives départementales, les registres de notaires renseignent des domaines différents et, en premier lieu, la vie privée de nos ancêtres qui est l’aspect le plus difficile à cerner : inventaires après décès et ventes mobilières donnent des informations sur le nombre et l’aménagement des pièces, l’état et le prix du linge, des meubles, des couverts tandis que testaments, héritages, demandes de pension et contrats de mariage nous font entrer dans le jeu des relations familiales ; enfin, ventes, achats et emprunts nous mènent au cœur des stratégies sociales et donnent souvent de précieuses données généalogiques.
La série U consacrée à la justice est extrêmement riche pour appréhender la vie quotidienne. On y rencontre Aubin témoin dans une affaire de ratirage, son voisin qui bat sa femme ou encore le marchand de chevaux du village appelé à témoigner aux assises contre son courtier indélicat. La série R nous apprend qu’Aubin a échappé à la conscription, mais que son frère « bon pour le service » fut réformé à cause de sa petite taille (1,45 m) : cette série est la seule (avec les passeports intérieurs et les archives judiciaires) à donner un signalement physique.
Ces fonds communaux et départementaux ont été complétés par des recherches ciblées aux archives nationales et à celles du diocèse de Chartres, par la lecture exhaustive du journal « Le Glaneur » de 1835 à 1851 et par les fonds privés de la famille de Cambray.
Ainsi, les 150 signatures d’Aubin, le nombre égal de fois où son nom est mentionné (cadastre, recensement, listes électorales, conseil municipal), la recherche systématique des mêmes indices laissés par sa famille, ses connaissances et la quête des évènements qui ont marqué le village et ses environs permettent de dresser le portrait d’un laboureur, homme discret, conservateur, petit notable et d’être avec lui dans son monde, le temps d’un livre. Comme s’il faisait désormais partie de la famille.
Note : En reprenant la même démarche qu’Alain Corbin pour son ouvrage Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, avec toutefois en prime l’utilisation des archives de notaire, l’historien Alain Denizet, nous montre dans son remarquable ouvrage qu’il est désormais possible, au moins pour le XIX° siècle, de « faire revivre ses ancêtres, de donner chair et vie à ceux qui n’ont laissé que de rares traces dans les archives ? ».
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