Cette année là, tout frais retraité, je me laissais aller à la simple joie d’être grand-père.
C’était la veille de Noël et je m’étais imposé d’aller recueillir Juliette, à la dernière sortie de l’école Cussonneau, avant les vacances...
L’atmosphère etait froide et humide, ce qui ne nous empêcha pas de faire, sa petite main confiante enfouie dans la mienne, quelques détours parmi les rues piétonnes, décorées et illuminées, aux vitrines accueillantes et tentatrices.
C’est à proximité de la place du Pilori, à Angers, au temps du roi René lieu des exécutions publiques, que nous eûmes sous les yeux cette scène que je devais reconstituer par la suite à partir des notes griffonnées sur place : Le guitariste gaucher qui chantait des « folk song » américains avec l’accent du Berry... sa compagne aux longs cheveux noirs, jolie mais maigrichonne, frissonnante sous un simple tee-shirt, noir également, qui l’accompagnait avec plus ou moins de bonheur sur un petit vibraphone...
Un bébé transi bien qu’emmitouflé qui reposait entre eux dans un précaire baby-cad en toile [1]...
Dans l’étui à guitare, posé sur le sol, brillaient sur le fond rouge quelques pièces de monnaie.
A une quinzaine de mètres, sous le panneau OR d’une joaillerie, un homme recroquevillé dans une vieille capote militaire tendait la main.
Nous étions dans ces temps pas si lointains, non encore révolus, où l’on découvrait les « nouveaux pauvres et l’« exclusion »...
A mes yeux de peintre, deux visions intenses se répondaient l’une à l’autre pour devenir ensemble le symbole d’une époque : les vitrines ensoleillées de la société de consommation s’opposant au ciel gris et humide de l’hiver, les passants indifférents, chaudement enfouis dans leurs fourrures, se hâtant vers un réveillon à cinq cents francs par tête (sic 1985), passant près de cette petite femme de noir vêtue, de ce couple qui se battait fort honorablement pour sa subsistance...
Vous dirai-je que pris de fièvre créatrice, je quittai la place sans même songer à mettre ma pièce dans l’étui à guitare ? Quel exemple pour Juliette... j’en ai encore honte aujourd’hui !.
Cette oeuvre est la propriété de la Société Rademaker-Dubig à Duisbourg (Allemagne) et exposée dans ses locaux. Copyright Jacques-Auguste Colin par : (Artistes Dans les Arts Graphiques & Plastiques - Paris) [2].