C’est un texte ancien publié par Thierry Sabot en septembre 2001. L’orthographe du document est respectée.
Thierry n’est pas certain d’avoir encore l’original de cette lettre, ou même une copie. Il pense que c’est sa tante qui lui avait fait passer cette lettre il y a longtemps.
Difficile d’avoir plus d’informations, car sa tante est décédée depuis.
La commémoration des 100 ans de l’Armistice me donne l’occasion de vous présenter sa demande d’entraide.
"Le 13 septembre 1916, Mon cher Gérard,
Je viens de recevoir ton aimable babille et suis heureux que tu est pû avoir une petite permission pour voir ton deuzième enfant.
Quant a moi je suis toujours en prévention et compte passé Samedi en conseil. Je ne sais ce qu’ils font me faire, mais s’ils veulent me faire plaisir, ils n’ont qu’a me fusiller car j’en est assez de cette injustice. Je suis la victime d’un de mes chers lieutenant, mais si malheureusement après ma condamnation je suis victime d’une autre insolent comme celui-ci je ne sais trop a qui je irais car je suis a bout.
En plus de cela ma mère est au lit, et je craints une issue fatale pour elle. C’est elle qui me retient quand elle n’existera plus, moi seule déciderait du reste, car la patience est à bout.
J’aurais bien fait venir le député de chez nous qui est bon avocat et qui ne s’en serait que fait un plaisir, mais j’est peur que ma mère vienne à l’apprendre. Enfin si je suis condamné injustement je n’esiterai pas a le faire venir car ma vie civile pourrait être atteinte par l’injustice militaire.
Enfin j’espère que tu as passer trois jours heureux et que toute ta famille est en bonne santé.
Si tu me r’écrit pas avant samedi voila mon adresse : Prévoté de 12e division Section Postale C° 33e. Quand a la vie militaire tu as une idée si je veux rester au régiment je ne peux te dire ce que j’en pense sur cette carte du régiment mais mon vieux avoir enduré ce que j’est enduré pendant trois mois a cause d’une manille tu doit savoir ce que j’en pense.
N’as tu plus eu des nouvelles de Chabal et de Rouzey, sont-ils bien été tué ? Je te serre une cordiale poignée de mains et t’envoi mes meilleurs souvenirs pour ta famille. Ton Poteau, Gabriel C."
Ce courrier est envoyé par « Gabriel C. » à son ami Gérard. Celui-ci vient d’avoir son deuxième enfant quelques semaines, ou mois, plus tôt.
Gabriel est « toujours en prévention et compte passé samedi en conseil (de guerre ?) » Il est donc en prison en l’attente de son jugement : son Lieutenant l’accuse, à tort ou à raison, « a cause d’une manille » et l’affaire doit remonter à début juin 1916. Il dit être fatigué et à bout de ce qu’il a « enduré pendant trois mois » L’adresse qu’il donne, « Prévôté de 12e division », confirme sa détention : la prévôté est, en effet, la police militaire [1].
Trois indices ouvrent des pistes :
1/ Le 13 septembre 1916, l’adresse pour lui écrire est "Section Postale C° 33e"
Ce secteur postal, crée pour acheminer les lettres sur le front, est rattaché à la 12e division d’infanterie. Elle est composée des 54e, 67e, 106e, 132e, 350e régiments d’infanterie.
A partir du 5 septembre 1916, la 12e Division d’Infanterie est dans la région de Saint-Omer-en-Chaussée, Boves, puis au repos dans celle de Crèvecoeur-le-Grand, puis celle de Conty.
2/ « J’aurais bien fait venir le député de chez nous » Ce député « bon avocat » est de sa région : où est ce « chez nous » ?, peut être dans la Loire, La Ricamarie ou Saint-Etienne. Qui est ce député juriste qu’il semble bien connaître ?
3/ "N’as tu plus eu des nouvelles de Chabal et de Rouzey, sont-ils bien été tué ?"
Sur « Rouzey », mes recherches ont fait « chou blanc ». Par contre, dans sa dernière lettre du 16 novembre 1914 à son épouse Marie Louise Couturier, Adrien Largier (Poilu de la famille de Thierry Mort pour la France en décembre 1914) écrit : "Tu feras bien des compliments à chez toi, chez moi, et aussi chez ton frère Chapal" Est-ce un pur hasard ? Est-ce la même personne ? A une lettre près, cette variante peut être liée à une mauvaise lecture sur l’original voire à la prononciation de ce nom.
Dans l’acte de naissance d’Adrienne Marthe en 1907, la fille légitimée d’Adrien Largier, un des témoins est François Chapal, mineur de 33 ans, habitant à La Ricamarie. Né en 1876 à La Ricamarie, c’est le demi-frère de Marie-Louise. Il est un peu « trop vieux » pour faire la guerre en 1914.
Un indice, peut-être plus fiable, dans le « Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire » du 31 décembre 1916 :
- Avis de disparition
Hippolyte Marius Chabal, « du …régiment d’infanterie », est porté disparu « au combat du Bois F… » le 1er août 1916 ; c’est-à-dire quelques semaines avant le courrier de Gabriel. Le journal n’en dit pas plus : la censure veille !
« Né le 5 mars 1885 à La Ricamarie », « Hyppolite Marius Chabal », comme c’est écrit dans son acte de naissance, est le fils de Jean Antoine Chabal, « ouvrier aux mines » âgé de 35 ans, « demeurant à Ondenon » à La Ricamarie et de Marie Félicité Rolle « ménagère » de 31 ans, son épouse.
En 1916, Hippolyte habite « au Chambon-Feugerolles, Grande Rue » Il s’est marié le 30 juillet 1913 à Saint-Etienne avec Antoinette Buisson. Début juin 1914, il habitait « rue des Ecoles » à Andrézieux.
Sa fiche matricule de la classe 1905 au bureau de recrutement de Montbrison porte le numéro 557 (vues 83 et 84/717). Elle nous apprend qu’il est affecté au 413e Régiment d’Infanterie. Signalé disparu « au Bois Fumin » près de Verdun, il est en fait prisonnier « à Walm » et ne sera rapatrié qu’en décembre 1918 !
Même s’il s’agit du "bon" Chabal (comment en être sûr ?) cela ne nous dit rien sur "notre" Poilu, victime d’un de "ses chers lieutenants" !
Fusillé après le conseil de guerre ?
Gabriel compte passer "samedi en conseil", c’est-à-dire le 16 septembre 1916. Mais la date n’est pas sûre et le conseil a pu avoir lieu bien plus tard.
J’ai bien cherché sur "Mémoire des Hommes" des fusillés après septembre 1916 avec le prénom Gabriel, sans rien trouver. Mais Gabriel est peut être son prénom d’usage...et il n’a peut être pas été fusillé !
Une recherche dans les articles parlant des conseils de guerre dans la presse de l’époque n’a rien donné non plus. Mais la piste n’est pas fermée pour autant...
Et vous, qu’en pensez-vous ?