À la suite du coup d’état du Directoire du 4 septembre 1797 ( 18 fructidor an V) en France, organisé par les trois Directeurs Barras, Réveillière-Lépeaux et Rewbell contre les deux autres Directeurs Barthélémy et Carnot et la majorité des Conseils, 328 hommes furent déportés sans jugement en Guyane.
Il s’agissait de députés appartenant à la majorité modérée ou monarchiste du Conseil des Cinq-Cents et du Conseil des Anciens, de journalistes critiques du gouvernement directorial et d’ecclésiastiques, principalement des prêtres réfractaires français et belges.
Après un voyage de plusieurs jours en cages de fer, ces déportés furent transportés à fond de cale par trois navires au départ de Rochefort :
- le 22/09/1797 pour La Vaillante avec 16 déportés,
- le 12/03/1798 pour La Décade avec 193 déportés
- le 1/08/1798 pour La Bayonnaise avec 119 déportés.
Ces trois navires arrivèrent successivement à Cayenne le 10 novembre 1797, le 14 juin 1798 et le 29 septembre 1798. Les déportés de La Vaillante furent cantonnés en « résidence surveillée » à Sinnamary et ceux de La Décade et de La Bayonnaise, d’abord à Conanama puis aussi à Sinnamary.
- Carte de la Guyane française au XVIIIe siècle.
À l’époque la déportation en Guyane fut qualifiée, selon l’expression de G.A. Tronson du Coudray qui faisait partie du premier convoi, comme une « guillotine sèche » moins cruelle et irréversible que la guillotine sanglante de la Terreur. Pourtant les déportés, affaiblis par le long voyage à terre puis en mer, pas du tout préparés à affronter le climat et la nature tropicales et pratiquement abandonnés sans ressources ni moyens d’hygiène élémentaire, furent rapidement frappés de diverses maladies exotiques dont on ignorait alors le traitement. Dès la première année 172 périrent à Conanama et à Sinnamary de dysenterie, paludisme et fièvre jaune notamment. Vingt-trois parvinrent à s’échapper et les 133 survivants ne furent rappelés en France que trois ans plus tard par Bonaparte, après la chute du Directoire.
- Le cimetière actuel des prêtres déportés à Conanama
- Photo Christophe Bardou.
S’agissant du premier convoi de « La Vaillante » par exemple, il comportait seize déportés assignés à Sinnamary. Six sont morts sur place au cours des premiers mois, deux sont morts pendant leur tentative d’évasion, six ont réussi à s’évader (dont Le général Pichegru) et deux sont restés sur place (Barbé-Marbois et Laffon- Ladebat) pendant deux ans et demi jusqu’à leur rappel en France par Bonaparte en 1800.
Plusieurs de ces déportés ont raconté leurs séjours forcés en Guyane : J.J. Aymé, F. Barbé-Marbois, F. Barthélémy, A-D. Laffon-Ladebat (cf site : http://Laffon_de_Ladebat.site.voila.fr ), I-E. Larue, B. La Villeurnois, J-P Ramel, A. Pitou. On trouve leurs livres sur « Gallica ». A ma connaissance il n’y a pas de trace de ces déportations politiques à Sinnamary ; en revanche on trouvait encore, parait-il, il y a quatre ans un petit mémorial pour les prêtres déportés au cimetière de Conanama et chaque année, à la fin du mois d’octobre ou au début du mois de novembre, le diocèse de Guyane organisait un pèlerinage sur les lieux. J’ignore si ces souvenirs locaux existent encore.
À strictement parler le premier convoi de déportés de fructidor en 1797 ne fut pas la première expérience de « guillotine sèche » en Guyane ; en effet, bien qu’ayant participé à l’éviction de Robespierre et de ses partisans en juillet 1794, les jacobins Billaud-Varenne et Collot d’Herbois furent déportés en Guyane par les Thermidoriens en mai 1795. Leurs relations politiques leur ont permis de bénéficier en Guyane d’un régime de faveur de semi-liberté. Collot mourut de la fièvre jaune à Sinnamary dès le 8 juin 1796. Billaud, lui, séjourna longtemps à Sinnamary mais refusant toujours l’amnistie, alla mourir à St Domingue en 1819.
Il est important d’observer que ces déportations de fructidor à Sinnamary et à Conanama ne sont pas assimilables aux envois au bagne de Guyane qui leur ont succédé au XIXe siècle. D’une part les déportés n’étaient pas des criminels condamnés légalement par un tribunal, mais seulement des ennemis politiques du moment déportés là sans jugement ; d’autre part ils n’étaient pas incarcérés mais jouissaient d’une certaine liberté sous réserve de ne pas s’éloigner de leurs lieux de résidence forcée. Enfin à l’époque il existait pour les forçats de vrais bagnes installés dans des grands ports de France (Brest, Cherbourg, Le Havre, Lorient,Marseille, Toulon, Rochefort notamment) Il n’y avait alors aucun bagne en Guyane. Les bagnes portuaires parfois qualifiés de « galères à terre » avaient en effet remplacé les navires galères qu’on utilisait plus.
Les déportations de fructidor servirent ensuite de modèle pour d’autres exils politiques puis pour des tentatives de "colonisation pénitentiaire" ; ce n’est qu’en 1854 qu’une loi créa officiellement le "bagne de la transportation" qui ne sera supprimé définitivement qu’en 1938.