Ecoutons les échos de ce petit monde disparu.
Le lundi 30 novembre 1840, le curé trouve la veuve Galicier mal portante. Marie-Anne Grandveau, proche voisine qui se présente comme « son amie », est cependant d’un avis contraire. Ce jour, elle lui fait la conversation tout en étant « occupée à couler sa lessive ». Elle est formelle : « Elle ne se plaignait pas et ne m’a pas paru malade (…) Après avoir fait cuire à mon feu un peu de sang d’oie qu’elle a mangé, je ne l’ai pas revue ce jour-là. » La veuve Galicier fait ensuite une halte chez le maréchal Porthault pour « tricoter avec sa femme ».
- Dessin d’Hoyau (1853) extrait de l’almanach « le messager de la Beauce et du Perche ».
Charles Tarenne, ancien compagnon charron de son mari, resté « en bons termes avec elle », la visite « de temps en temps », justement le soir du mardi 1er décembre. Ce n’est pas un hasard : « J’avais ouï-dire qu’elle était plus malade qu’à l’ordinaire. Elle était alors dans la partie de sa maison occupée par Billard et elle se chauffait à son feu. Elle me dit :
« - Mon cher ami, il faut nous quitter. »
Croyant qu’elle évoquait sa mort, il cherche à la rassurer et observe : « Par moi-même, je ne voyais pas d’altération dans ses traits. Mais elle se plaignait plus. »
Ce mardi, la veuve établit chez elle devant le notaire d’Ymonville deux contrats de vente sur ses maisons d’Allaines et de Viabon en faveur de ses filleuls en échange de deux rentes annuelles et viagères qui lui assurent un revenu de 136 francs par an [4]. Voulant garantir la tranquillité de ses vieux jours, elle assortit la vente de sa maison de Viabon d’une clause qui la prémunit de tout souci :
« Elle se réserve pendant sa vie l’usufruit de la chambre où est la cheminée prussienne (…) Le sieur Billard et sa femme seront tenus malgré les réserves partielles d’usufruit ci-dessus, non seulement d’acquitter les impôts de toute nature (…) mais encore de faire toutes les réparations d’entretien (…) aider la venderesse, à compter de ce jour, dans les soins de son ménage, même de le faire en entier et de lui administrer tous les petits soins dont elle aura besoin, tant de jour que de nuit. »
- Illustration d’une maison des environs de Chartres vers 1840. (fonds Leprince, bibliothèque de Chartres).
Visiblement, le mercredi 2 décembre, la veuve sent que sa santé décline. Louis Joseph Girard, 55 ans, tailleur d’habit et crieur priseur dans les ventes mobilières après décès, la voit dans la rue, comme souvent car, dit-il, « habitant le bourg, je la voyais allant et venant ». Un échange familier et bon enfant s’engage ; les deux voisins se tutoient :
« Elle me dit : Tu vas boire la bouteille.
- Oui. Et je lui demandais : Et toi, où vas-tu ?
- Je vais travailler dans l’étable.
- Ca ne va donc pas trop ? Ai-je dit.
- Pas trop (…) Si tu veux mon ouche qui est à côté de ma maison…
« Ce propos l’a fait rire », se souvient Girard : l’ouche est une allusion au cimetière.
- Tu voudrais déjà dégueniller mes guenilles ! dit-elle (faisant elle-même allusion à mon état de crieur priseur dans les ventes mobilières après décès). »
Puis, la veuve Galicier passe sa journée à l’étable chez les Chapelain. « Vers le soir », la femme Grandveau la trouve assise sur une borne dans la rue ».
- « Je t’attendais », lui dit la veuve Galicier.
Lui demandant pourquoi, elle répondit :
- « tu sais bien qu’il y a longtemps que je t’ai promis de te payer de quoi porter mon deuil, si de ton côté tu veux t’obliger à le faire de bon cœur. »
Sur ma réponse affirmative, elle dit :
- « viens chez moi, je te donnerai l’argent nécessaire.
La femme Grandveau poursuit : « Après quoi, je l’ai suivie chez elle et elle m’a donné 15 francs pour acheter mon habillement de deuil. Elle m’a fait alors promettre de la venir voir tous les jours. Ce que j’ai fait. Elle m’a dit :
- Je t’ai donné de quoi acheter un habit de deuil, je te donnerai encore des bonnets à barbe. »
La veuve Galicier est assez aisée tandis que la femme Grandveau, journalière, a peu de moyens pour faire cet achat. Cette dernière reste pour veiller son amie qui, souffrante, doit s’aliter :
« Elle était alors au lit se tenant sur son séant pour me parler de lui donner une assiette dans laquelle il y avait de la monnaie pour prendre dedans de quoi payer un pain et une bouteille de remède envoyée de Janville. »
Le lendemain, jeudi 3 décembre, la femme Grandveau fait sa visite et ne « la trouvait point malade ». Le tourneur Henri Jousset, son voisin immédiat, raconte que la veuve ayant aperçu l’officier de santé Laronde dans la rue le fait rentrer chez lui. Ce dernier diagnostique :
- « Vous avez un mauvais estomac, il faut mettre le pot au feu. » Le remède lui arrache un cri :
- « Vous voulez me ruiner ! »
Jousset ajoute encore :
« Elle est venue dans mon atelier et y restée se chauffer avec mon compagnon pendant deux heures, puis elle a fini la journée dans l’étable avec ma femme. Pendant tout ce temps, elle ne s’est pas plainte de la fièvre du pays [5]. »
Toutefois, elle ne vient pas se chauffer à l’étable où « pendant l’hiver elle avait l’habitude de passer ses journées » alors que la femme Chapelain n’avait rien remarqué le jour précédent sauf, comme toujours, cet « asthme qui lui rendait la respiration difficile ».
Le vendredi 4 décembre, Marie-Thérèse Blanvillain, compagne des journées d’étable pendant la « mauvaise saison » s’enquiert de la santé de la veuve qui « avait manqué de venir à l’étable le jour précédent » et observe qu’elle se plaignait un peu plus, mais sans faire allusion à la « fièvre du pays ». La veuve Galicier reste couchée le samedi puisque plusieurs voisins disent ne pas l’avoir vu.
- Dessin d’Hoyau (1855) extrait de l’almanach "le messager de la Beauce et du Perche".
- Deux voisines parlant de la veuve galicier.
L’officier de santé Laronde l’ausculte à nouveau, trouve un grand changement et croit discerner :
« les premiers symptômes de fièvres pernicieuses (…) Je demandai aux personnes qui lui donnaient les soins de venir à Ymonville chercher les médicaments appropriés ».
Il concède s’être trompé dans son premier diagnostic, mais les mentalités rurales sont rétives à sa médecine ainsi qu’il s’en s’explique en quelques mots qui valent absolution :
« Depuis sept à huit ans que je vais à Viabon visiter des malades, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois la veuve Galicier qui, trop intéressée et radine pour me faire venir chez elle, me prenait à la dérobée pour me consulter sur les souffrances qu’elle éprouvait. Quoique n’ayant traité cette femme qu’imparfaitement, j’ai reconnu que c’était un pauvre sujet affecté d’un asthme et d’un catar pulmonaire chronique qui tôt ou tard pourrait être la cause de sa fin. »
Le dimanche 6 décembre est marqué par une nette dégradation. Le voisin Tarenne, averti par Billard, le filleul de la veuve, se rend chez elle. « Elle était dans son lit, je lui donnais à boire. » Le tourneur Jousset est convoqué par la veuve qui le prie « d’écrire à la fille du nommé Delabrouille de Moutiers afin qu’elle vint la gouverner ». Le curé de Viabon est appelé au chevet de sa paroissienne qui décède dans la nuit du 6 au 7 décembre 1840 :
« Elle était fort mal puisqu’elle a cessé de vivre quelques heures après. J’ignorais qu’elle fut malade avant. Je savais seulement qu’elle était mal portante car huit jours avant, elle était venue chez moi avec la femme Grattet pour faire rédiger la quittance de loyer que lui payait cette dernière. »
Cette dernière semaine de vie de la veuve Galicier donne un éclairage concret des petits réseaux d’entraide et de la sociabilité quotidienne qui s’établit dans le village. Connue de tous, la veuve va et vient chaque jour de sa maison à l’étable, un petit trajet qui tisse des relations et permet quelques échanges plaisants avec le voisin Girard sur un sujet grave : la mort. Alors, quand la santé décline en cette mauvaise saison, les voisins s’inquiètent et demandent des nouvelles dès lors qu’elle manque une journée à l’étable, occasion de se retrouver entre femmes pour travailler, mais aussi évoquer la vie du pays – le décès de la belle-mère de son filleul Billard le 20 novembre, les démêlés entre l’instituteur Leroy et le curé par exemple. Ne doutons pas que les avis de la veuve, riches d’expérience, sont écoutés.
Manifestement, la veuve Galicier aime à venir se chauffer chez les autres, au feu du maréchal, de son filleul, à celui de la voisine pour la cuisine, enfin à l’étable. Une amie va chercher le pain et les médicaments à Ymonville et fait appel à l’officier de santé. C’est avec lui que la veuve déploie une finesse où se mêlent rouerie et avarice : elle le voit « à la dérobée », profitant de son passage chez ses voisins pour être examinée gracieusement. Le curé rédige la quittance de loyer. La veuve n’est pas donc pas une personne seule. Elle vit avec son filleul Billard, mais surtout elle entretient des relations de voisinage qui lui donnent une fin de vie somme toute heureuse, témoignage éloigné des troubles et des tragédies qui parcourent les archives judiciaires pénales. Enfin, en cette tranquille semaine, afin de mettre de l’ordre dans ses affaires, elle fait venir le notaire.
La surprise, la tristesse de sa mort sont contenues dans ces quelques mots du crieur Girard qui apprend son décès :
« Comment ! Thérèse est morte ! »
Alain Denizet est l’auteur d’un livre d’histoire qui raconte le quotidien et le monde d’un paysan ordinaire du XIXe siècle « Au cœur de la Beauce, enquête sur un paysan sans histoire, le monde d’Aubin Denizet, 1798-1854 ». Editions Centrelivres, 2007, 336 pages. 26 euros. À commander à l’auteur pour 27,5 euros frais de port compris à l’adresse suivante : Alain Denizet, 1 rue de l’enfer, Muzy 27650. alain.denizet chez wanadoo.fr |