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La survivance des rites du paganisme et des superstitions anciennes

Le vendredi 14 juin 2024, par Thierry Sabot

Amies lectrices, amis lecteurs pour poursuivre la découverte du calendrier agro-liturgique que vous propose L’Almanach Paysan , je vous propose de recenser autour de vous, dans votre espace géographique proche, la survivance des rites du paganisme et des superstitions anciennes. Vous verrez que l’expression de «  l’étrange  » et du «  merveilleux  » est encore bien présente dans votre environnement local. Pour ma part, lorsque je me suis installé dans le Roannais, en provenance du Velay, du Forez et du Lyonnais proches, j’ai été extrêmement surpris de constater que beaucoup de familles avaient régulièrement recours à des rites de conjuration pour soulager des pathologies diverses... y compris au sein du milieu hospitalier où elles bénéficiaient de l’autorisation bienveillante du personnel médical.

Voici cinq exemples près de chez moi :

Le pont du Diable

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© Jacques Mossot, Wikimedia Commons.

Dans ma jeunesse, mon escapade favorite consistait à traverser le magnifique pont du Diable (daté du Xe siècle) situé en contrebas du hameau perché de Chalencon, à Saint-André-de Chalencon, dans le Velay. Selon Philippe Walter, «  le pont est un site mythique majeur des légendes celtes, des récits arthuriens et des traditions folkloriques apparentées  »... d’où la présence dans nos paysages de nombreux ponts attribués au Diable. Selon la tradition, les villageois auraient réalisé un pacte avec le démon afin de construire ce pont qu’ils ne pouvaient réaliser seuls. En contrepartie de son aide, le diable aurait exigé qu’on lui accorde la première âme qui traverse le pont... Plus malins que le Malin, les autochtones auraient fait passer un chien sur le pont entre les deux rives.

La colonne de Souvigny

À une heure de voiture du Roannais, le petit musée de l’abbaye de Souvigny, en Bourbonnais, présente une étrange colonne octogonale, réalisée au XIIe siècle, à moitié brisée, couverte de bas-reliefs sur quatre de ses côtés. On peut y voir les Travaux des mois, les Signes du Zodiaque, les peuples et les monstres les plus étranges de la terre. Ainsi, cette colonne serait à la fois un calendrier ancien et un tableau des principaux personnages païens de nos légendes.

Saint Blaise et l’ours

À une heure trente de voiture du Roannais, à Berzé, près de Cluny, la légende de Saint Blaise a été peinte au XIIe siècle sur les murs de la chapelle aux moines. En 1945, dans cette localité, le préhistorien André Leroi-Gourhan a découvert une grotte néolithique contenant des crânes d’ours, qui semblent y avoir été rassemblés pour un culte. Ce n’est sans doute pas un hasard si, au Moyen Âge, le site a été christianisé et placé sous le patronage de Saint Blaise, réincarnation chrétienne d’une divinité païenne homme-ours.

Le mythe de l’animal Homme-sauvage

Dans le monde primitif, l’ours était le roi des animaux car il était doté d’une force prodigieuse, d’une sauvagerie sans limite et d’une capacité sexuelle hors norme. Mi-homme, mi-bête, cousin ou ancêtre supposé de l’homme, la figure de l’ours se confondait avec celle de l’Homme sauvage humanisé, un rustre velu d’allure bestiale ou un animal à l’apparence humaine. On lui prêtait des comportements humains et on le redoutait car il convoitait les jeunes filles et les femmes pour s’accoupler et les rendre fécondes. Cette défiance explique la réaction de l’Église qui, dès le Moyen Âge, a encouragé les massacres d’ours puis a humilié et apprivoisé la bête grâce à l’intervention des saints afin d’étouffer tous les cultes et les rites païens liés à l’ours. Depuis, dans le calendrier liturgique, de nombreux personnages divins, le plus souvent légendaires, portent son nom (Martin, Ursin, Bernard...) et ces «  saints ursins  » ressemblent étonnamment aux figures païennes d’Homme sauvage qu’ils cherchent à occulter. Ainsi, la rencontre entre l’intercesseur de Dieu et le plantigrade, entre l’ordre divin et le monde naturel, a permis à l’Église de lutter contre les anciens cultes païens rendus à la grande figure de l’Ours-Homme sauvage, personnage clé de la mythologie préchrétienne, divinité toute-puissante de l’Autre Monde, capable de réguler la vie et la mort et d’ordonner les cycles du Temps. Désormais, l’Ours-Homme-sauvage, mâle fécondant, se retrouve dans les jeux du Carnaval, notamment dans les chasses à l’ours où un homme se déguise avec des peaux de bêtes afin de s’attribuer la force virile de l’animal sauvage.

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Le sauvage des stalles de l’église prieurale Saint-Martin d’Ambierle (Loire).

La tête passée à travers le trou

À Saint-Menoux, dans le Bourbonnais, le sarcophage en pierre dans lequel les reliques de Saint-Menoux étaient exposées à la vénération des fidèles. Selon une croyance locale, de nombreux miracles eurent lieu ici lorsque des personnes tourmentées par la folie mirent leur tête dans la cavité du tombeau et furent guéries sur-le-champ.

Selon Paul Sébillot, la pratique de passer la tête dans le trou d’un sarcophage, comme ici saint Menoux, dans l’Allier, est le reliquat, à peine christianisé, d’anciennes pratiques païennes.
De nos jours encore, selon la croyance locale, l’enfant qui passe sa tête dans l’ouverture du débredinoire de Saint-Menoux ne deviendra jamais un imbécile. On dit aussi que les simples d’esprits retrouveront leur santé mentale.



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6 Messages

  • Bonjour, étant lié affectivement au Berry, je vous communique l’adresse d’un site web qui brosse un portrait qui me semble assez réaliste concernant les croyances et traditions de cette région.
    https://berry-traditions.com/accueil/les-superstitions-du-berry
    Bien cordialement.
    Joël
    https://cerclegma.wordpress.com/

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  • Intéressant. Il existe au Québec une ville nommée Saint-Ours, nom de son premier seigneur, Pierre de Saint-Ours. Nom ancien selon sa bio :

    http://www.biographi.ca/fr/bio/saint_ours_pierre_de_2F.html

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  • Très souvent, les rites chrétiens ne sont que du recyclage de rites païens antérieurs, à commencer par la fixation de Noël au 25 décembre, la fêtes des morts au 2 novembre (et pas la veille qui est la fête de tous les saints ^^).

    Pour la (Basse-)Normandie, commencez par la thèse d’Olivier BEUVE, LES ANIMAUX DANS LES CROYANCES ET LEGENDES DE NORMANDIE, au moins dans sa première partie, non technique, où l’actuel vétérinaire de la Haye-du-Puits recense un certain nombre de légendes de la région. Ce sont quelques dizaines de récits, de quelques lignes à quelques pages à picorer de temps à autres. Le plus souvent, quand l’animal est bénéfique, c’est une tradition pré-chrétienne ; quand l’animal est maléfique, il représente le paganisme contre lequel les premiers chrétiens ont dû lutter (ex : le loup de Saint-Vigor).

    La Normandie et la Bretagne sont aussi particulièrement sensibles aux "maux de saints". Voir notamment LA RELIGION POPULAIRE EN NORMANDIE AU XIXe SIÈCLE / Nadine-Josette CHALINE

    La difficulté revient en fait à dater ces traditions et légendes recueillies au XIXe s. pour savoir si elles remontent à la nuit des temps ou si elles sont de création récente. En sortant un peu du cadre fixé par Thierry, je peux citer l’exemple des Demoiselles de Fontenailles. Gaston Lavalley a dû en livrer deux versions à la fin du XIXe s. Dans la première, après une partie purement descriptive, il ajoute une légende médiévale qu’il aurait recueillie auprès d’une habitante du village. Gaston Lavalley est un auteur à la solide réputation, écrivant tantôt des romans historiques, tantôt des études historiques. Cette réputation lui a depuis longtemps servi à devenir vice-directeur puis conservateur de la bibliothèque municipale de Caen. Ajoutons que c’est son frère, architecte et futur directeur du musée de Caen, qui est chargé (vainement) des travaux de consolidation desdites Demoiselles. Toute cette aura fait que certaines publications (essentiellement parisiennes, donc éloignées des lieux) reprennent sa légende pour argent comptant, et on se retrouve donc avec trois dames du moyen-âge pétrifiées sur les côtes du Bessin pour avoir trop attendu le retour de leurs amants... Seulement, sur place, c’est le scandale ! Lavalley est un menteur !!! Il faut quand même que je vous explique ce qu’étaient ces Demoiselles. Les côtes du Bessin se partagent entre de longues plages sableuses (les futures plages du débarquement du 6 juin 1944) et des falaises calcaires. Le calcaire n’est pas une roche uniforme, c’est en fait un terme générique. Il peut donc arriver que lorsqu’un pan de falaise tombe à la mer, un "pain de sucre" de calcaire plus dur résiste à cet assaut de la mer. Ce fut le cas pour ces trois "Demoiselles" à la forme plus ou moins anthropomorphe, apparues lors d’un éboulement au XVIIIe s. La légende médiévale était donc nécessairement un faux. Mais est-ce que Lavalley l’avait effectivement recueilli sur place ou est-ce qu’il l’avait inventée. Avait-il fait œuvre d’historien ou de romancier, sachant qu’il avait la double casquette ? Il finira par avouer qu’il avait lui-même inventée. Ces aveux seront formulés en note de bas-de-page d’une seconde version de ses Demoiselles de Fontenailles. Il reprendra sa première partie, qui décrivait le chemin à parcourir pour atteindre ces roches et il rédigera une nouvelle seconde partie, où il racontera un second éboulement de terrain, vers 1885, au même endroit (bien réel, le cousin d’un de mes ancêtres y perdit une bonne partie de ses terres). A cette époque, il ne restait déjà plus qu’une Demoiselle, les deux autres étant déjà tombées à la mer. La dernière succombera à son tour en 1905.
    La morale de cette histoire ? Méfiez-vous des apparences. Et surtout, par rapport à la question de Thierry, précisez bien vos sources. Précisez bien quand ce sont des constatations personnelles ou si ce sont des propos recueillis par ouï-dire ou par des lectures.

    Les dames blanches qui se baladent près des fontaines ou dans des routes forestières sont-elles des divinités celtique des eaux (ondines et autres) ou ne sont-ce tout simplement pas des paraboles pour appeler à la vigilance dans ces endroits potentiellement dangereux, tout comme au cours du prêche, le prêtre ou le pasteur usait de paraboles pour mieux expliquer un point de la religion et peut-être plus facile à retenir (l’enfant prodigue, la maison sur le sable etc.).

    Pour revenir aux auteurs qui recueillent des légendes, il ne faut pas non plus oublier qu’ils écrivent à un temps et dans un lieu donné. Ils sont influencés par l’état de la science à ce moment-là, leur propre vécu, leur milieu social et géographique. Un auteur local qui pratique le patois aura plus facilement la confiance des autochtones outre le fait qu’il comprendra mieux les subtilités de leur récit etc. Seulement, il va reformuler le récit au risque d’ajouter une interprétation. C’est ce fameux jeu où A raconte une histoire à B qui doit la raconter à C et ainsi de suite, et à la fin, ce n’est plus du tout la même histoire. Il se peut aussi que parfois, que le locuteur utilise un mot de chez lui qui n’est pas utilisé là où il a recueilli sa légende. Ainsi, lorsque l’abbé LECANU vient à parler de la Miloraine du bois de Carantilly (où il a exercé 40 ans plus tôt), le lecteur avisé s’aperçoit qu’il est né à l’autre bout du diocèse, au-delà des Marais de Carentan, où le terme de miloraine est utilisé, alors qu’en centre-Manche, on parlera plutôt de dame blanche...
    Au cas où ça ne ce serait pas vu, la survivance des rites du paganisme et des superstitions anciennes est un de mes sujets de prédilection ^^
    Après, comment dire si telle ou telle pratique est une survivance des rites du paganisme ou si elle est tout simplement induite par le rythme des saisons (saints de glace etc). Parlons par exemple de la pratique de coulines dans le Bessin. Elle est parfaitement décrite par Frédéric Pluquet dans la première moitié du XIXe s. On doit certainement la retrouver par chez vous sous différents noms. Dans les tous premiers jours de l’année civile, donc au moment ou tout était gelé (à l’époque), on brûlait l’écorce des arbres avec des fascines pour cramer les lichens, mousses et autres parasites... Chacun aurait pu se faire individuellement mais c’était l’occasion d’une petite fête, une procession joyeuse qui allait de verger en verger (Normandie, cidre etc...) en entonnant toujours la même chanson. A un geste technique (qui a sans doute sa justification, destiné à détruire les parasite et ainsi s’assurer une meilleure récolte à venir) est ajouté une part de rituel, une chanson ou plutôt un simple refrain répété comme un mantra. LAVALLEY évoquera d’ailleurs une fête des coulines dans un de ses romans).
    Le problème, et c’est tout l’utilité de livres tels que celui de Thierry, c’est que ces traditions se perdent quand elles ne sont pas déjà perdues depuis longtemps. Et c’est là que je reviens à ma marotte. Toute la nouvelle la forge de Maître Simon de Charles CANIVET serait fondée sur une tradition locale : celui qui recevrait la moindre goutte d’eau du ruisseau d’Escarboville en traversant l’unique pont qui l’enjambe (près de Saint-Vaast-la-Hougue) deviendrait fou. Seulement le "cousin Charles" est le seul à avoir couché cette légende sur le papier. Donc l’a-t-il recueillie ou l’a-t-il inventée ?
    Je ne sais pas si Thierry aborde ce sujet, mais on peut également parler de la micro-toponymie. Avant que chaque parcelle reçoive un numéro cadastral, elle était désignée par un nom. Souvent, il se référait à un ancien propriétaire mais il y avait aussi de nombreux noms de fantaisie. Comment ces noms de fantaisie avaient été fixés ? Quand ? N’y avait-il pas une autre orthographe (donc une autre explication) autrefois. Voyez par exemple, le fond du Canivet, à Vieux-Rouen(-sur-Bresle), où Saint Germain le Scot aurait terminé sa course (la tête sous le bras après avoir été décapité par un chef païen... c’est un saint céphalophore). Sauf qu’autrefois, ce fond s’écrivait plus probablement "font", autrement dit fontaine, point d’eau, ce qui renvoie directement à l’étang actuel. A côte de Port-en-Bessin, un hameau s’appelle le Pont-Fâtu, cité dès le moyen-âge. Personne n’arrive à s’accorder sur son étymologie. Serait-ce lui aussi un pont du diable ou plus exactement un pont de fée ? Sur la commune de Port-en-Bessin, on avait entre autres un "champ plaideux" et un "abbé de fer"... A Tilly-sur-Seulles, il y a un champ de l’ange situé au temps de l’élaboration du cadastre entre la rivière et le canal de dérivation du Moulin Halté.
    Aiguisez votre mémoire, faites part de vos traditions locales et, dans la mesure du possible, citez vos sources.

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    • Même si les juges actuels refusent obstinément de s’y référer, l’historien relèvera peut-être l’intérêt des recueils publiés localement par les chambres d’agriculture, notamment les Usages locaux à caractères agricoles du département de Tarn-et-Garonne (1937) que j’ai eu l’occasion de consulter au temps jadis.
      L’ouvrage explique notamment que tel essence d’arbre, plantée de tel matière à tel endroit d’une parcelle, servait de borne.
      Après, bien sûr, je saurais dire si ces pratiques remontent au paganisme... Il faudrait pouvoir comparer les espèces citées dans cet ouvrage, et donc leur valeur symbolique, à celles particulièrement vénérées dans les anciens rites.
      Voir aussi https://institutdesusages.com/sites/default/files/bdu.pdf

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      • Bonjour Christophe,

        Effectivement, les recueils d’usages locaux sont une source précieuse (mais pas la seule) pour comprendre le contexte local. Bien sûr, dans un ouvrage comme celui-ci, présenté intentionnellement sous la forme d’un almanach, malgré ses 384 pages, il ne m’était pas possible de prendre en compte toutes les particularités régionales et locales. Le but est de proposer un cadre général pour étudier le calendrier agro-liturgique sur une année type, avec son rituel de fêtes profanes et religieuses, ses superstitions, ses traditions, ses coutumes, ses travaux agricoles, ses vieux usages et ses dates échéances majeures.

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