Un bon groupe de "poilus", réquisitionnés pour la corvée de patates, occupation utile et saine imposée aux soldats de l’époque...
- Pierre BERNARD, posant avec les hommes de sa compagnie, avec chacun une pomme de terre à la main.
- A la caserne... Les patates.
En tenue de travail, certains ont même un tablier, il fallait mettre du coeur à l’ouvrage, afin que les cuisiniers puissent cuire à temps le précieux tubercule.
L’humour était tout de même présent dans les compagnies, bien que la guerre sévissait, car, on peut le remarquer en regardant de plus près la photographie, ils tiennent tous à la main une de ces fameuses pommes de terre ainsi qu’un couteau (sauf le sergent, sur la droite, qui, lui, se croise les bras... c’est normal : c’est le chef !)
Quel fut le destin de ces poilus, en ces temps où la vie d’un homme était précaire ? Je connais celui d’au moins l’un de ces soldats, celui de mon grand’père paternel, entraîné malgré lui dans cette grande et sanglante tourmente qui emporta tant d’êtres humains (c’est celui qui est à droite du seau à patates - croix sur le genou).
Il se nommait : Pierre Auguste BERNARD.
Rien ne le prédestinait bien sûr au destin si tragique qui fut le sien. Né le 16 août 1885 à Igney, il faillit naître allemand !
En effet son père, Edouard Joseph, était à ce moment employé au chemin de fer, à la compagnie de l’Est, et affecté à la gare d’Igney (aujourd’hui Igney-Avricourt), en Meurthe-et-Moselle, non loin de Lunéville.
La voie ferrée séparait alors Igney de Avricourt, un côté étant allemand, l’autre français. La gare se trouvant du côté français, c’est cette nationalité qui lui fut donc donnée.
Il est né au premier étage de cette gare, qui existe toujours, dans l’appartement occupé par ses parents.
C’était le troisième enfant d’Edouard Joseph et de Marie-Florémane GOBERT, son épouse : Lucie, née en 1879, André, né en 1882 ; un quatrième enfant, Robert, viendra augmenter la famille en 1894.
La famille BERNARD, venue d’Etival, dans les Vosges (aujourd’hui Etival-Clairefontaine), trouvait son origine à Ribeauvillé, dans le Haut-Rhin.
Un ascendant, au moment de la Révolution, avait "émigré" dans ce village vosgien, et avait créé là une nouvelle branche.
D’abord "surveillant de la culture des tabacs", le père, Edouard Joseph, entra au chemin de fer qu’il quitta quelques années plus tard pour devenir receveur d’octroi, et finir à la direction des douanes.
Modérément aisé, Edouard Joseph fit en sorte que ses enfants accèdent à des professions correctes : Lucie épousera un militaire de carrière, André sera directeur chez Hachette, et Robert deviendra magistrat et juge de paix.
Pierre Auguste, lui, le rêveur de la famille, s’installa à Paris comme décorateur-fleuriste.
Puis survient la mobilisation... la guerre 1914/1918 se déclenche !
Pierre Auguste, "rappelé" en 1916 (il avait alors 31 ans) fut de nouveau incorporé dans l’artillerie, arme dans laquelle il avait fait auparavant son service militaire. Il fut, cette année-là, en garnison à Orléans. Il y rencontra ma grand’mère.
Les soldats étant logés "chez l’habitant", Pierre Auguste échoua chez les JACQUELIN, famille originaire du Loiret, qui habitait dans la rue Saint-Marceau. Une des filles de la maison, Madeleine Henriette Hélène, eut l’heur de lui plaire, et réciproquement.
Début 1917, elle "monta" à Paris, et le mariage fut célébré le mardi 26 juin 1917 dans le 9e arrondissement, lors d’une brève permission de Pierre Auguste.
Ils ne restèrent ensemble que quelques semaines, Pierre Auguste devant rejoindre son corps monté au front.
Elle ne le revit plus !
Le 5 octobre 1917, Pierre Auguste mourrait près de Zuydcoote, sur le front belge, à la suite de "glorieuses blessures". Mais un enfant était en route !
Le fils posthume de Pierre Auguste, nommé Pierre Henri Auguste (mon père), vit le jour à Orléans, où sa mère était repartie, le 13 février 1918.
Enfant d’un "mort pour la France", déclaré "pupille de la Nation", Pierre Henri Auguste aurait bien évidemment préféré connaître son père, et cette absence le marquera toute sa vie. Il m’avouera un jour, bien plus tard, n’avoir pas toujours su s’y prendre avec moi, n’ayant pas eu lui-même de références paternelles.
Diplôme (posthume) donnant à Pierre BERNARD la mention de "mort pour la France" :
REPUBLIQUE FRANCAISE Ministère de la Guerre Par arrêté ministériel du 25 avril 1923, rendu en application des décrets du 13 août 1914 et du 1er octobre 1918, publiés au Journal Officiel du 20 mai 1923, Médaille Militaire a été attribuée à la mémoire du 2e canonnier- servant : BERNARD Pierre Auguste, matricule B.018224 « Mort pour la France » « Brave canonnier, mort pour la France le 5 octobre 1917, des suites de glorieuses blessures reçues en Belgique. Croix de Guerre avec étoile de bronze ». A La Sère, le 23 juin 1923. Le chef d’escadron commandant le 301e régiment d’artillerie. |
Le destin allait persévérer contre lui car, il perdra sa maman d’une tuberculose, alors qu’elle n’avait que 49 ans (décès le 25 octobre 1941). Il n’avait lui-même que 23 ans.
Chez lui, il avait accroché sur l’un des murs d’une petite pièce, un portrait de ses parents. Il allait parfois les voir, en revenant un peu triste.
Ils m’ont manqué tous les deux, à moi aussi, et j’ai souvent pensé à ce que nous aurions pu faire ensemble. Quelles auraient été nos relations ? Aurions-nous été très proches ? Mon propre destin aurait-il été le même ? Autant de questions qui n’auront jamais de réponse.
Pierre Auguste était loin de se douter de tout cela, en épluchant les patates, lorsqu’il posa avec ses collègues pour cette photographie. A quoi rêvait-il ? A quoi aspirait-il ? Quelles idées avait-il pour continuer sa vie ? Que serait-il devenu ? Que d’interrogations lancinantes que rien ne viendra jamais résoudre !
A-t-il souffert ? On sait seulement qu’il fut blessé par obus, et qu’il eut l’artère fémorale sectionnée, accompagné d’un état de choc. Il ne fut évacué que quelques heures plus tard sur un hôpital régimentaire, sans doute mal équipé, mais il était trop tard, ayant perdu trop de sang.
Destin tragique pour cet homme, qui ne connut que bien peu les douceurs de la vie conjugale, et qui ne verra pas son fils. Destin non moins tragique pour cet enfant, qui ne connaîtra pas son père, et perdra sa mère encore bien jeune.
Devenu plus tard fonctionnaire de police, Pierre Henri Auguste connaîtra fort heureusement une suite de vie heureuse. Il se maria, eut trois enfants, mes deux soeurs et moi-même, et coula une existence calme et paisible, que ne vint pas troubler d’aussi atroces évènements. Il eut pourtant sa part d’épreuves (guerre 39/45, évènements d’Algérie...), mais ceci est une autre histoire que nous raconterons une autre fois.
Mais toujours, lui et moi, nous nous sommes souvenus de ce soldat "malgré lui", Pierre Auguste BERNARD, son père, mon grand’père, à qui nous voulons dire, au travers du temps et des éthers, que nous l’aurions aimé.
C’était l’histoire résumée d’un "poilu", détruit par la folie des hommes.