Dans les documents conservés aux Archives départementales du Bas-Rhin, concernant l’émigration (série III M), on trouve, entre autres, traces de quelques déserteurs "Bavarois venus à Strasbourg pour y séjourner quelques temps en attendant l’autorisation qui les fera émigrer en Algérie.
Y en-a-til eu d’autres ? Le phénomène a-t-il plus d’ampleur ? Quelles étaient leurs raisons ? Neuf documents nous parlent de sept d’entre-eux.
LIENHARDT Georges et ANTON André
Après leur désertion de l’armée Bavaroise, Georges et André arrivent sur Strasbourg fin novembre ou début décembre 1843.
Ils se présentent à la Mairie, pour expliquer leur cas, et demander à obtenir une autorisation de passage gratuit en Algérie. Demande transmise au Préfet.
Le 19 décembre 1843, le Préfet du Bas-Rhin écrit au Ministre de la Guerre :
"J’ai transmis à Votre Excellence vers le 4 de ce mois des certificats de la Mairie de Strasbourg concernant les sieurs LIENHARDT Georges et ANTON André, nés dans la Bavière Rhénane, déserteurs Bavarois qui désirent se rendre en Algérie comme terrassiers.
Ces militaires se trouvant à Strasbourg sans aucuns moyens d’existence, je prie Votre Excellence de me faire parvenir le plutôt possible des permis de passage gratuit à bord d’un bâtiment de l’Etat, demandés en leur faveur."
Douze jours plus tard, un bordereau d’envoi du Ministre de la Guerre au Préfet nous informe de l’expédition de deux autorisations de passages gratuits en Algérie concernant ces deux déserteurs.
Sans doute la Mairie de Strasbourg a-t-elle pris en charge leur logement et leur nourriture durant les deux mois de leur séjour dans la ville.
Ils ont probablement reçu aussi le "secours de route", somme que l’on donnait aux émigrants, pour payer les frais du voyage à travers la France jusqu’au port d’embarquement.
Où sont-ils allés ? Que sont-ils devenus en Algérie ?
La base du CAOM (Centre des Archives d’Outre-Mer) ne nous donne rien sur ces deux noms.
DRIES Jean, MORBACHER Adam et ECKSTEIN Nicolas
Le 12 avril 1844, trois nouveaux déserteurs Bavarois arrivent sur Strasbourg.
Nous possédons 6 documents les concernant, qui nous en apprennent un peu plus sur eux : un mot du Préfet au Maire, 3 cartes de séjour, une lettre du Préfet au Ministre de la Guerre, et la réponse de celui-ci.
1- Mot du 14 avril 1844 du Préfet au Maire de Strasbourg :
"Monsieur le Maire de Strasbourg est autorisé à tolérer le séjour en cette ville des nommés DRIESS Jean, MORBACHER Adam et ECKSTEIN Nicolas, déserteurs Bavarois, qui désirent se rendre à Alger, et qui ont déclaré avoir de l’occupation à Strasbourg jusqu’au moment de leur départ."
A priori, il semblent pouvoir subvenir à leurs besoins durant leur séjour, qui sera court (une quinzaine de jours seulement).
La lettre précédente est accompagnée de trois cartes de séjour, qui nous permettent de visualiser un peu chacun de ces trois hommes.
En haut de chacune d’elle, mention manuscrite : "Par autorisation de Monsieur le Préfet".
2- Carte de séjour N°4781, concernant :
DRIES Jean, déserteur Bavarois, manoeuvre, natif de Schoenenbourg (Palatinat).
23 ans, 1m85, cheveux bruns, front rond, menton rond, sourcils blonds, nez grand, visage ovale, yeux châtains, bouche moyenne, arrivé dans cette ville le 12 avril 1844.
Il loge rue Sainte-Elisabeth, N°19, chez le sieur WENGER, entrepreneur de travaux militaires. Le 18 avril 1844. (Au dos : "Changement de logement : Grand’rue, 113."
3- Carte de séjour N°4782, concernant :
ECKSTEIN Nicolas, déserteur Bavarois, manoeuvre, natif de Schoenenbourg (Palatinat).
23 ans, 1m61, cheveux et sourcils châtains, front bas, menton rond, nez petit, visage ovale, yeux doux, bouche grande, arrivé dans cette ville le 12 avril 1844. Il loge.... (idem). Au dos : ...(idem).
4- Carte de séjour N°4783, concernant :
MORBACHER Adam, déserteur Bavarois, manoeuvre, natif de Kuppelberg (Palatinat).
28 ans, 1m66, cheveux et sourcils bruns, front large et bas, menton rond, nez court et pointu, visage ovale, yeux gris, bouche grande, arrivé dans cette ville le 12 avril 1844.
Il loge.... (idem). Au dos 😊 (idem).
C’est sans doute leur logeur, le sieur Wenger, entrepreneur de travaux militaires, qui leur fournira du travail durant leur séjour à Strasbourg.
5- Lettre du 19/4/1844, du Préfet au Ministre de la Guerre :
"Les nommés DRIES Jean, MORBACHER Adam et ECKSTEIN Nicolas, cultivateurs, déserteurs Bavarois, désirent se rendre à leurs frais à Alger et sollicitent seulement le passage gratuit à bord d’un bâtiment de l’Etat. Je prie Votre Excellence de leur accorder cette faveur."
Ils traverseront donc la France à leurs frais, et embarqueront gratuitement sur le bateau, pour l’Algérie, destination Alger.
6- Lettre du 27 avril 1844, du Ministre de la Guerre au Préfet, adressant les trois autorisations de passage gratuit en Algérie, "délivrés d’après votre dépêche du 19 courant, aux trois déserteurs Bavarois DRIES, MORBACHER et ECKSTEIN."
"Veuillez les leur remettre - et le Ministre ajoute quand même : "et leur accorder, s’il y a lieu, les secours de route."
SCHOELLé Xavier et WERNER Jacques
Pour ces deux derniers, un seul document : Lettre du 9/11/1844, du Préfet au Ministre de la Guerre.
"... "Les nommés SCHOELLé Xavier et WERNER Jacques, déserteurs Bavarois, désirent se rendre en Algérie en qualité de cultivateurs et terrassiers.
Ces individus se trouvent à Strasbourg sans ressources, ne pouvant pas retourner dans leur patrie, je prie Votre Excellence d’accueillir favorablement leurs demandes en leur accordant le passage gratuit à bord d’un bâtiment de l’Etat."
Nous n’avons pas d’autres informations à leur sujet.
Mais sans doute leur a-t-on accordé le passage gratuit en Algérie, comme aux autres.
Il faut remarquer que les demandes de ces déserteurs ont rapidement été prises en comptes, et que l’issue, favorable, semble avoir été favorisée par les autorités.
Il n’en était pas de même habituellement. Les pétitionnaires devaient écrire une lettre, donner des certificats (de non-imposition, de bonne conduite...) et, pour les colons qui désiraient une concession de terres, un état de leurs ressources financières, un certificat médical, un certificat de notoriété...
Sources :
- ADBR Strasbourg, série III M, émigration.
- Site du CAOM.
Nb : Dans un second article sur le sujet, nous parlerons de ressortissants allemands, engagés dans la Légion Etrangère française, libérés et revenant d’Algérie, et dont certains demandent à y retourner.