Pourquoi avoir choisi entre 1840 et 1850 ? C’est qu’alors les noyades sont très fréquentes. Ce sont aussi les dix dernières années du "Premier XIXe siècle", avant que de nouveaux moyens de communication (chemin de fer, bateau à vapeur, télégramme et téléphone) ne se développent. Après 1850, il sera plus facile, me semble t’il, de se déplacer ; voire même d’envoyer rapidement des messages d’un point à un autre, sur de grandes distances, sans se déplacer. |
La première façon de savoir qu’un noyé a été repêché est la lecture des journaux locaux. Dans la presse locale sont insérés des avis précisant la découverte d’un cadavre avec sa description physique et les vêtements qu’il porte.
- Nu, inconnu et tatoué !
- "Retiré du Rhône" le 11 juin...mais où ?
"Journal de Vienne" du 13 juin 1846
Mais cette macabre découverte n’est pas toujours publiée : entre 1846 et 1850, aux Roches de Condrieu, les registres de décès comptent quatre actes de "noyés inconnus". A Condrieu, il y en a six [1].
Alors qu’il n’y a pas, dans le même temps, autant d’articles les concernant !
Aux Roches, le 6 mai 1848, cinq femmes périssent noyées lors du chavirage de leur barque. Elles sont toutes bien identifiées. Nous aurons peut-être, un jour, l’occasion de raconter ce dramatique épisode. |
- Noyade du jeune Jouteur, 13 ans, à Vienne
- "Moniteur viennois" du 26 janvier 1843
Fréquemment aussi sont publiés des "avis de disparition" ou signalant la noyade d’une personne. Des personnes peuvent ainsi avertir qu’un corps vient d’être repêché dans le fleuve pas loin de chez elles... au garde-champêtre ou à la Gendarmerie, voire au Juge de Paix ?
A noter que ces "avis" paraissent souvent dans les journaux plusieurs jours après les faits. Et parfois en même temps ou après que l’identification du corps ait eu lieu ! Et ils sont souvent bien approximatifs.
- "Moniteur viennois" du 12 février 1846
Ce simple entrefilet mériterait tout un article. Ce n’est pas à Condrieu, mais en face aux Roches, qu’a été repêché le cadavre. Et en plus, le maire l’a enregistré sous un autre nom ! Il a fallu un procès des héritiers de Joseph Léger pour attester qu’il était bien mort ! Par contre, le cadavre féminin de Seyssuel-Chasse attend toujours d’être identifié... |
- "Moniteur viennois" du 25 février 1847
Levée de cadavre par le juge de paix
Pour avoir "travaillé" sur plusieurs cas de ce genre, je m’aperçois que parfois le parent qui reconnait le corps arrive de loin, et cela à peine un jour ou deux après la découverte du cadavre !!
Quelle efficacité entre le moment de la disparition et l’identification du noyé ! (pas de téléphone à l’époque...peut être un télégramme ? ) Et il faut du temps pour faire le voyage par bateau ou à cheval.
"Ayant été informé par la clameur publique..."
D’autres fois, à l’inverse, la reconnaissance du cadavre est faite par des "voisins" de la commune où le cadavre est repêché.
Le 13 juin 1847 à Tupin, à cinq heures du soir, Jean Henry, juge de paix du canton de Condrieu, "ayant été informé par la clameur publique qu’un cadavre avait été retiré du Rhône par le Sieur Jean Champin, ...se trouvait déposé sur la commune de Tupin-Semons, au lieu de l’Ile du Beurre" s’y déplace avec "1e ledit Sieur Champin, 2e Jérôme Charrin, docteur-médecin à Condrieu, 3e Jean Charles Ristori, Brigadier de Gendarmerie, 4e & enfin Antoine Favel, Gendarme".
Sur place, ils trouvent "Monsieur Bernard, maire de la commune de Tupin-Semons, que nous avions fait prévenir de s’y rendre".../...
"Le Sieur Champin nous a fait apercevoir gisant sur le bord du Rhône, un cadavre du sexe masculin, paraissant âgé de 26 ans, taille d’un mètre soixante huit centimètres, cheveux et sourcils noirs, front ordinaire, yeux châtain, nez gros, bouche grande, menton pointu portant moustache, vêtu d’une veste ronde garnie de boutons noirs indiquant que ce cadavre était militaire & appartient à un régiment de hussards, & d’un pantalon d’ordonnance rouge, d’un col d’ordonnance, d’une chemise en toile portant le numéro matricule 1487. Chaussé de bottes garnies d’éperons.".../...
"Ledit Sieur Champin nous a déclaré que ce jourd’hui, à midi, il se trouvait sur le fleuve du Rhône, conduisant un petit batelet lorsqu’il s’est aperçu que les eaux de ce fleuve entrainaient le cadavre humain qui est sous nos yeux, que de suite il a dirigé son batelet sur ce cadavre & l’a retiré de l’eau.
Comme la description que nous avons faite des habillements de cadavre nous a fait reconnaitre qu’étant militaire & présumant qu’il pouvait appartenir au régiment de hussards en garnison à Vienne, nous en avons de suite donné la connaissance à Mr le Commandant de ce régiment & afin qu’il pût être reconnu par le corps, nous en avons ajourné l’inhumation jusqu’à demain deux heures de relevée.
../... Nous avons ordonné en outre que les habillements de ce cadavre seraient déposés à la mairie de Tupin-Semons pour que représentation en soit faite quant & à qui de droit." [2]
Un hussard dans le Rhône
- 1846 Hussard du 7e régiment
Le lendemain, 14 juin 1847, « à une heure du soir », devant Joseph Bernard, maire de Tupin Semons, « sont comparus M.M. Mercadel Michel Marie, maréchal des logis chef au septième régiment des hussards, troisième escadron, âgé de vingt sept ans, & Dominique Roussel, hussard de première classe aux même régiment & escadron, âgé de vingt six ans, tous deux domiciliés à Vienne.
Lesquels nous ont exposé que Mr le Colonel commandant ce régiment ayant été avisé le jour d’hier par Mr le Juge de paix du canton de Condrieu qu’un cadavre du sexe masculin avait été retiré du Rhône…au lieu de l’Isle du Beurre ; il soupçonnait que ce pouvait être un hussard de leur régiment qui s’est noyé lundi sept du présent mois.../...d’après l’ordre de leur supérieur, ils se présentent devant nous & nous ont invités de les accompagner au lieu où se trouvait ce corps mort afin de vérifier si c’est bien celui dont on soupçonne le décès.
Etant arrivés sur place, ils ont en effet reconnu que le cadavre dont il s’agit était celui de Lehongre Jacques Louis Pierre, surnommé Durocher, né le quatorze août mil huit cent vingt un à Aunou le Faucon, canton d’Argentan (Orne), fils de Pierre & de Marguerite Boutigny, domiciliés à Bailleul (Orne), hussard de deuxième classe au troisième escadron dudit régiment où il a été incorporé le quinze juillet mil huit cent quarante-deux. Ledit Lehongre était inscrit sur les contrôles dudit régiment sous le numéro matricule 1487.
En conséquence, n’ayant plus de doute sur l’identité de ce cadavre, nous avons ordonné qu’il soit procédé à son inhumation dans le cimetière de cette commune, ce qui a été fait immédiatement. [3]
La noyade du jeune "garçon de salle de l’Hôtel de la Table Ronde" à Vienne.
« L’an mil huit cent quarante neuf et le deux juin à cinq heures du soir, acte de décès d’un jeune homme inconnu rejeté par le Rhône sur le territoire de la commune des Roches et noyé dans le fleuve, âgé d’environ dix sept ans, taille d’un mètre quatre vingt centimètres, cheveux et sourcils noirs, front découvert, yeux bleus, figure bouffie, menton rond ; trouvé couvert d’un simple caleçon tricoté en coton, très court, et sur la ceinture duquel est imprimé le N°301.
Sur la déclaration faite à nous Jean Pierre Couturier, Maire des Roches, par les Sieurs Jean Siaux, secrétaire de la mairie âgé de trente ans, et Pierre Cadier, chapelier âgé de quarante deux ans, tous domiciliés audit lieu.
Après nous être assuré de l’exactitude de cette déclaration, nous avons dressé le présent, que nous avons signé lecture faite. Couturier, Siaux, Cadier » [4].
- Joseph Fraichet s’est noyé !
- "Journal de Vienne" du samedi 9 juin 1849
Cet article daté du samedi 9 juin 1849 dans le « Journal de Vienne », feuille hebdomadaire, nous en apprend plus. Si l’on en croit le rédacteur « Joseph Fraichet…s’est noyé mardi dernier…au port de l’Ecu » à Vienne. Ce serait donc le mardi 5 juin… mais la découverte de son cadavre aux Roches est du 2 juin ! Il faut donc plutôt dater cette noyade du mardi précédent, c’est-à-dire fin mai !
- Reconnu et inhumé par son patron
- "Moniteur viennois" du 14 juin 1849
Le « Moniteur viennois » du 14 juin 1849 nous dit que ce pauvre jeune homme est inhumé par les soins du propriétaire de l’hôtel. Donc entre le 2 juin et le 13 juin ! Comment M. Ombry a-t-il su qu’un noyé avait été retiré du Rhône ?
Il a fait le déplacement de Vienne aux Roches, une douzaine de kilomètres, sans être sûr toutefois qu’il s’agissait bien de son garçon de salle.
Le corps a été reconnu sur place. Comment a-t-il été conservé pendant ces quelques jours ? Comment s’est passée cette identification ? Il a fallu nécessairement la présence des « autorités » pour officialiser l’identité du noyé.
Toujours est il qu’à la date du 9 juin 1849, dans le registre des Roches de Condrieu, est rédigé cet acte : "Le neuf juin (1849) à cinq heures du soir, acte de décès de Joseph Freychet, âgé de vingt deux ans, cuisinier natif de La Tour du Pin, rejeté par le Rhône le jour d’hier, à cinq heures du soir, et reconnu par le Sieur Ombry, traiteur à Vienne, comme étant son garçon cuisinier ..." [5]
La déclaration au maire des Roches est faite par deux mariniers des Roches : Etienne Chevalier, 25 ans, et Félix Chevalier, 24 ans.
« Après nous être personnellement assuré de l’exactitude de cette déclaration », le maire Jean Pierre Couturier signe l’acte avec les deux témoins.
A noter que, dans cet acte, la date indiquée pour la découverte du cadavre est le 8 juin. L’ acte cité plus haut, rédigé lorsque ce "jeune homme inconnu est rejeté par le Rhône", est du 2 juin !
Pourtant, c’est Monsieur le Maire qui a rédigé les deux actes. Il n’a pas poussé très loin ses vérifications !
Des lecteurs ont certainement les mêmes questions que moi sur ces cadavres trouvés dans le Rhône... et bien d’autres fleuves !